Notre lettre 1012 publiée le 10 mars 2024

LE CONCILE DES PERES
ET L'EXPOSITION MEDIATIQUE
D'ORIENTATIONS NOVATRICES
CENSEES EN RENDRE COMPTE
COINCIDAIENT-ILS ?

LA CHRONIQUE DE PHILIPPE DE LABRIOLLE
AU SUJET DU CONCILE DE VATICAN II

Le concile des Pères et l’exposition médiatique d’orientations novatrices censées en rendre compte coïncidaient-ils ? Cette question essentielle pouvait aisément être tranchée. Elle ne l’a jamais été par voie hiérarchique. En permettant aux commentateurs autorisés (pour mémoire, les Henri Fesquet, Jean Bourdarias, Henri Tincq, et autres Georges Hourdin, retombés dans l’oubli) d’énoncer au quotidien l’oracle qu’un vain peuple se devait de recueillir dévotement, les évêques français sous-traitaient la charge enseignante, partageant, en toute modernité, le pouvoir magistériel, se réservant, sans l’exercer, le droit d’en recadrer les égarements éventuels. Les plus conservateurs prirent pour un clivage ce qui relevait d’une simple division du travail, donc d’une stratégie concertée.

Pourquoi, en effet, parler de clivage plutôt que d’application fidèle ? Tout simplement parce que les lendemains du Concile produirent bruit et fureur, violences morales et mêmes physiques, désertion de clercs, purge dans les séminaires, et que le crédit conciliaire était exposé à souffrir sévèrement de ces lendemains qui déchantent. Réputé Œuvre de l’Esprit Saint, le Saint Concile devait être protégé. A vrai dire, la déstabilisation de l’Eglise par les pratiques nouvelles et autres doxa fantaisistes était suffisamment troublante pour les fidèles du rang qu’une terreur sacrée bien compréhensible refreinait toute mise en doute de la gouvernance romaine.

Sanctuarisé, hors d’atteinte, et simultanément totémisé comme souffle vital de l’Eglise, pour l’aujourd’hui des années 60, le Concile devait n’avoir à redouter aucune incrimination dans les bouleversements concrets se réclamant de l’aggiornamento. Lorsque Mgr Lefebvre publie son recueil intitulé « J’accuse le Concile » en 1976, il désigne par leur nom les protagonistes conciliaires ayant rompu avec la Tradition. De son autorité épiscopale, père conciliaire lui-même, l’ancien archevêque de Dakar porte le fer, et brave le tabou. Les représailles ne tarderont pas.

Si les défrocages de clercs et de profès consacrés choquèrent à bon droit, la chute des vocations, moins bruyante quoiqu’avérée, laissa dans l’ombre l’effondrement massif du nombre des pratiquants. Pourquoi s’astreindre à rester fidèle à une institution qui a tourné casaque ? Songeons au discours de clôture du 7 décembre 1965, et à Paul VI déclarant : « Non, l’Eglise n’a pas dévié, mais elle s’est tournée vers l’homme ! ». Ce sont de tels aphorismes, qui envoient des signaux de changement tout en déniant l’effet de rupture avec le passé, qui s’avérèrent mortels pour l’Autorité Magistérielle.

C’est à l’historien Guillaume Cuchet, et précisément, parmi d’autres publications sur le thème, à son essai « Comment notre monde a cessé d’être chrétien » que l’on doit le dynamitage d’un déni détestable. La fracture ecclésiale est datable, car chiffrable : en 1965, l’Eglise de 1960 avait cessé d’animer la Chrétienté. Si l’intuition s’imposait de longue date aux esprits attentifs, c’est peu dire que le renfort scientifique fit du bien, par son cadrage roboratif. Enfin, on pouvait recommencer à penser publiquement les séquences causales de l’apostasie ambiante.

Venons-en aux textes réunis en « Actes du Concile Vatican II ». Jean XXIII avait donné le ton initial : « non nova, sed nove ». La concision latine fait merveille. Rien ne change, sauf la manière. La manière d’avant était-elle défaillante ? En servant la Vérité révélée, était-elle fautive de lui subordonner la paix. Fallait-il, pour favoriser la paix, dévaluer la Vérité, qui est l’un des noms que Notre Seigneur revendique ? Aucune affirmation aussi radicale n’est ainsi assénée au lecteur des « Actes », sauf dans l’infecte déclaration sur la liberté religieuse. Et beaucoup, y compris parmi les esprits traditionnels, apprécient la modération des énoncés soumis au vote des Pères Conciliaires, comme en témoigne l’écrasante majorité habituelle des approbateurs.

Un Concile pastoral, qu’est-ce à dire ? Plus d’anathème clarifiant la juste interprétation des textes. L’erreur n’est plus un problème. D’ailleurs aucune vérité ne justifie que l’on s’affronte pour elle. Spinoza a porté pierre : « Veritas causa sui », c’est-à-dire, la vérité sert elle-même sa propre manifestation. Mais c’est Marx, et son « Idéologie allemande » qui illumine la nouvelle logique. Il distingue l’infrastructure, c’est-à-dire la réalité quotidienne des rapports de force entre exploiteurs et exploités, et la superstructure, à savoir l’exposé idéologique qui masque la violence de l’infrastructure. A titre d’exemple, lorsque Marx dénonce la religion comme étant l’opium du peuple, il ne s’intéresse pas au contenu cognitif de telle ou telle religion, il en dénonce l’effet d’inhibition sur les exploités, pour le plus grand profit des exploiteurs. Résumons l’idée : c’est par voie pastorale, et l’effet normatif d’une praxis nouvelle, que la pression idéologique est mise efficacement en porte-à-faux, puis hors-jeu.

De quoi le Concile pastoral de Vatican II fut-il composé ? Par ordre d’autorité canonique : deux constitutions dogmatiques, l’une sur l’Eglise (Lumen Gentium), l’autre sur la Révélation divine (Dei Verbum). Une constitution pastorale (Gaudium et Spes), neuf décrets (L’œcuménisme, les églises orientales catholiques, les moyens de communication sociale, la charge pastorale des évêques dans l’Eglise, la formation des prêtres, le ministère et la vie des prêtres, l’adaptation et le renouveau de la vie religieuse, l’apostolat des laïcs, l’activité missionnaire de l’Eglise), enfin trois déclarations (relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, la liberté religieuse, l’éducation chrétienne).

Mélange hautement hétérogène en matière d’autorité, la loi côtoyant la circulaire pour reprendre des dénominations de droit positif. Concrètement, la déclaration sur la liberté religieuse sera hissée, médiatiquement, au rang d’une constitution dogmatique. Est-ce à cette fin que des constitutions dogmatiques s’imposèrent au sein d’un concile dit pastoral ? La hiérarchie indignée s’efforçât elle de rétablit-elle la perspective exacte ? Ou laissa-t-elle flétrir le différentiel d’autorité, en s’enorgueillissant elle-même de séduire ses adversaires par ce texte apostat, d’une liberté idolâtrée et trompeuse ?

Il fallait des constitutions dogmatiques dans les « Actes » de Vatican II, pour que tout fût dogmatisable, autant que de besoin, comme par droit de contiguïté. Quel miracle de praxis subversive ! il aura suffi des six pages de la déclaration « Nostra Aetate » pour que les nations catholiques cessent tout culte public officiel à la gloire de Notre Seigneur, afin de ne pas peser sur la conscience de l’homme d’aujourd’hui. 2221 pères conciliaires votèrent favorablement, et seuls 88 s’y opposèrent.

La quinzaine de pages constituant la déclaration sur la liberté religieuse est toute au service de l’autocratie conciliaire : « le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. » Aucun fondement scripturaire ne vient soutenir une pétition de principe aussi vague, et funeste car c’est la raison d’être de l’Eglise, voie unique de Salut, qui se voit ainsi trahie par les siens. Les devoirs de l’homme envers Dieu pèsent-ils encore de quelque poids chez le libertaire ainsi légitimé ?

Rapprochons cette tartarinade d’un énoncé réellement « dogmatique » extrait de Lumen Gentium (p. 38) (éd. du Cerf, Paris 1967) : « Ce solennel commandement du Christ d’enseigner la vérité du salut, l’Eglise l’a reçu des Apôtres pour l’accomplir jusqu’aux extrémités de la terre (Ac. 1,8). Aussi fait-elle siens les mots de l’Apôtre « Malheur à moi si je ne prêche pas l’Evangile » (Co.9, 16), et c’est pourquoi elle continue à envoyer sans cesse des missionnaires jusqu’à ce que les jeunes Eglises soient pleinement constituées, et qu’elles continuent elles aussi l’œuvre d’évangélisation. L’Esprit Saint la pousse à coopérer pour que le dessein de Dieu qui a établi le Christ principe du Salut pour le monde entier, parvienne à sa pleine réalisation. »

Mais oui, il y a de belles sentences bien catholiques dans les Constitutions Dogmatiques de Vatican II. Quelques lignes bien explicites auraient dû suffire à ruiner l’hybris des imposteurs mitrés. Mais ce travail n’a pas été effectué par la Hiérarchie, car il ne fallait pas qu’il le fût. En rétablissant la vérité de la Foi et l’exigence de la Mission, on retombait dans l’ornière de la Tradition Catholique. Ce qu’au Concile ne plaise…

Mais il faut déplorer, hélas, des contradictions troublantes à l’intérieur même de Lumen Gentium, dont le caractère dogmatique n’estompe pas les effets délétères mais les aggrave. Au chapitre 24 de LG, les évêques sont « successeurs des Apôtres ». Au chapitre 27 de LG, ils ont pris du galon : les voici « vicaires et délégués du Christ ». Quo non ascendam ? « Ils exercent un pouvoir qui leur est propre, et c’est en toute vérité qu’on les appelle les chefs du peuple qu’ils dirigent. Aussi leur pourvoir n’est-il pas diminué par le pouvoir suprême et universel, mais au contraire est affirmé, fortifié et défendu par lui. » Plus dure sera la chute, à ce jeu de l’estrapade. Mgr Rey, et Mgr Strickland ont pu expérimenter la caducité imposée par le pape François à la Constitution Dogmatique Lumen Gentium (ch.27).

Mais il y a plus grave pour un texte dogmatique. Lorsqu’un chapitre contredit celui qui le précède immédiatement, sans que l’incohérence soit perçue d’une part, corrigée d’autre part sur un point majeur. Prenons le chapitre 48, toujours dans Lumen Gentium, qui traite des fins dernières, sujet essentiel, on en conviendra. « Mais comme nous ne savons ni le jour ni l’heure, il faut, le Seigneur nous en avertit, veiller constamment pour que, ayant achevé l’unique cours de notre vie terrestre (cf. He.9, 27), nous méritions d’entrer avec lui aux noces, et d’être comptés au nombre des bénis (cf. Mt. 25,26), et non pas, comme des serviteurs lâches et paresseux (cf. Mt 25,41), dans les ténèbres extérieures, où « il y aura pleurs et des grincements de dents » (Mt. 22,13 et 25, 30) ». L’Enfer n’est pas nommé, pas plus qu’il ne figure dans l’Index, mais il est décrit. Qui mérite cette damnation, à part le démon ? Inutile de la réserver aux pires des pires, puisque le texte est formel : les serviteurs lâches et paresseux savent le sort qui les attend.

Passons au chapitre 49 : « Jusqu’à ce que le Seigneur vienne donc en sa majesté et tous ses anges avec lui (cf. Mt.25, 31), et que, la mort une fois détruite, toutes choses lui soient soumises (cf.1 Co. 15, 26-27), certains parmi ses disciples sont en pèlerinage sur cette terre, d’autres qui ont quitté cette vie sont soumis à la purification, d’autres enfin sont glorifiés, voyant « clairement Dieu lui-même, trois et un, tel qu’il est » ; tous cependant, à des degrés et selon des modes divers, nous communions dans la même charité pour Dieu et pour le prochain, et nous chantons le même hymne de gloire à notre Dieu . » Soit, mais où sont donc passés les serviteurs lâches et paresseux distingués par le chapitre précédent et exposés à un tout autre destin, beaucoup moins glorieux ? Faut-il comprendre qu’il n’y a, parmi les disciples, pas le moindre serviteur lâche et paresseux, ce qui contrevient à l’observation la plus commune. Ou faut-il penser qu’il n’y a aucun baptisé en Enfer, le sacrement reçu valant droit à la purification en Purgatoire ? Mais alors qui sont donc les serviteurs lâches et paresseux que la Saint Vierge, ouvrant le sol portugais, montra aux petits voyants de Fatima pour leur effroi sans limite ? Au Portugal de 1917, n’y avait-il pas 100% de baptisés, comme dans le Cantal des années 50 ?

Autre ambiguïté, à propos des missions. Nous avons cité plus haut « le solennel commandement du Christ d’enseigner la vérité du Salut » dans LG. Le décret Ad Gentes, consacré à l’activité missionnaire de l’Eglise, est à l’unisson de L.G. : « La raison de cette activité missionnaire se tire de la Volonté de Dieu, qui « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus Christ, qui s’est livré en rédemption pour tous » (1 Tm.2, 4-5) ; « et il n’existe de salut en aucun autre (Ac. 4,12). Il faut donc que tous se convertissent au Christ connu par la prédication de l’Eglise, et qu’ils soient eux aussi incorporés à l’Eglise par le baptême qui est son corps ».

Tout cela est cohérent avec l’enseignement constant reçu des apôtres. L’effondrement du zèle missionnaire ne saurait être imputé aux textes mentionnés, lesquels sont on ne peut plus clairs pour l’encourager. C’est à une invention théologique de Gaudium et Spes, désignée sur le code GS 22-5 entre initiés, que l’on doit, sous la forme d’un magistère nouveau, délivrant une révélation nouvelle, le travail de sape qui conduisit les missionnaires à se contenter d’alphabétiser, de vacciner, de soigner les populations qu’ils auraient dû, en sus, pourquoi pas, catéchiser. La gnose s’énonce ainsi : ch. 4 (…) « Certes, pour un chrétien, c’est une nécessité et un devoir de combattre le mal ( ?) au prix de nombreuses tribulations et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l’espérance, il va au-devant de la résurrection. » Ch.5 : Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît (sic !), la possibilité d’être associé au mystère pascal. Résumons : Dieu s’occupe de tout, inutile de finir martyr dans un chaudron.

Le croirez-vous ? Pour certains, il faut tenir que GS 22-5 est dogmatique ! Quelle blague, ô combien ravageuse pour le Salut des Ames.

Concluons provisoirement : Les Actes de Vatican II contiennent indistinctement le pire et le meilleur, et dans ce panier de la ménagère, il faut trier ce qui est comestible et ce qui est toxique. Ce travail n’est pas à la portée du quidam, mais il a été fait, par des pointures théologiques, dans des réseaux catholiques contraints à la marginalité, à l’opprobre, voire suspectés de schisme. La hiérarchie épiscopale est restée, en la matière, scandaleusement lâche et paresseuse. Elle en répondra le jour venu.

Bref, doit on imputer à Vatican II d’avoir été déformé par ceux qui en parlaient sans en avoir lu les « Actes ». Non, Vatican II n’a pas été victime d’une trahison par ceux qui l’ont conçu et appliqué. C’est l’Eglise, peuple de Dieu, qui a été victime de la puissance maléfique qui en a sabré l’équilibre salvateur.


Dr. Philippe de Labriolle

Psychiatre Honoraire des Hôpitaux

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