Notre lettre 1013 publiée le 12 mars 2024

VATICAN II ? CONNAIS PAS…

UN RETOUR AU REEL ?

L’atmosphère de fin de règne qui s’appesantit sur l’Église ravive l’intérêt des journalistes sur cette institution et leurs interrogations pour son avenir : « Qui sont les catholiques aujourd’hui ? Que pensent-ils ? Que sera l’Église de demain ? Et pour mener cette enquête ils ne peuvent pas oublier désormais les « traditionalistes » qui, longtemps mis à l’écart, apparaissent désormais comme une composante incontournable, au moins au sein des Églises occidentales en pleine perdition. Mais qui sont ces « traditionnalistes » ? Comment se situent-ils au sein de l’Église actuelle ? Quel est leur importance ? Aussi, une fois posées les questions stupides de savoir si les « traditionalistes » ne seraient pas des (fils de) pétainistes, des (fils d’) antidreyfusards, des maurrassiens, ou seulement des nostalgiques, ils dégainent LA QUESTION : « Comment vous situez-vous vis à vis du Concile Vatican II ? ». Nous avons demandé à Christian Marquant, qui s’est trouvé il y a peu confronté à cette interrogation, de nous en dire plus.


Louis Renaudin – Cher Christian vous rentrez d’Italie et à Rome deux journalistes ont l’un après l’autre sollicité votre avis à propos du concile Vatican II. Que leur avez-vous répondu ?

Christian Marquant – Je vous dirais que la question m’a rajeuni et m’a rappelé le temps de mon adolescence, celui où mon grand-père me parlait de la grande guerre… qui me semblait remonter au moyen-âge ! Où à l’indifférence de mes enfants lorsque j’évoque devant eux « les événements de mai 68 » qui pour eux ne signifient plus rien. Ils ont partiellement tort bien sûr, puisque la postmodernité dans laquelle nous vivons est née de mai 68. Mais cela doit nous obliger à comprendre un caractère essentiel de la nature humaine qui dispose d’une immense capacité à oublier le passé pour ne s’intéresser qu’au présent et parfois à son avenir. Et l’indifférence de mes enfants vis-à-vis de mai 68, qui s’est voulu une nouveauté absolue, me réjouit beaucoup. Et c’est pourquoi les questions de ces journalistes m’ont vraiment semblé passion de vieilles dames pour de vieilles dentelles.


Louis Renaudin – Mais néanmoins pourquoi de telles questions ?

Christian Marquant – C’est l’éternelle manipulation de personnages lâches qui essayent de dénigrer leurs adversaires, de les caricaturer ou de les présenter comme des « hérétiques » à livrer à l’inquisition moderne. Par exemple, un journaliste m’avait demandé en 1987, peu après l’occupation de l’église de Port-Marly, comment nous nous situions par rapport à Charles Maurras…


Louis Renaudin – Soit, mais comment est-il possible d’oublier des évènements importants ?

Christian Marquant – C’est un fait. Les plus âgés d’entre nous se souviendront peut-être d’un passionnant reportage filmé en 1963 par Bertrand Blier, qui s’interrogeait sur les idées et préoccupations des jeunes Allemands née après la seconde guerre mondiale. Leurs réponses lui donnèrent l’idée de donner un titre à son documentaire qui est devenu célèbre : Hitler ? Connais pas…. En effet, il constatait que moins de 20 ans après la chute du IIIème Reich, la jeunesse allemande semblait avoir tout oublié de son passé récent et avait fait passer Hitler aux oubliettes. Bien sûr, ce phénomène d’oubli tenait aussi au sentiment de culpabilité de l’ensemble de la société allemande qui, voulant tourner la page, n’en parlait pas à ses enfants. Cependant, il s’agissait encore d’un évènement somme toute très proche.

Si j’établis un parallèle avec l’histoire de l’Église et le concile Vatican II, ce n’est bien sûr pas pour comparer le Concile au IIIème Reich, mais c’est pour noter un phénomène de mémoire purement factuel : nous sommes dans une situation semblable où j’observe que pour des catholiques français de moins de 60 ans, et même pour moi qui en ai 75 !, le concile Vatican II est un évènement du passé aussi lointain que l’étais la guerre de 14 de mon grand-père pour l’adolescent que j’étais et que le sont les évènements de mai 68 pour mes enfants et petits-enfants. Ce qui montre que l’événement est très daté. Cela ne veut pas dire qu’il n’ait pas eu une colossale importance. Mais si les journalistes italiens m’avaient demandé mon avis sur la Révolution française, un événement de la taille de Vatican II, je leur aurais répondu que je n’étais pas né en 1789…


Louis Renaudin – Mais même si « l’évènement Concile » est ancien il est possible à tous de consulter les actes de cette assemblée qui ont été publiés et donc de le découvrir et partant de le connaitre…

Christian Marquant – Cher Louis vous êtes un coquin ! Vous savez surtout que plus de 95 % des personnes ne lisent pas ou très peu et ce phénomène est encore plus important en ce qui concerne des textes présumés « sérieux ». Sérieux avec guillemets, car qui aujourd’hui prend au sérieux un texte comme Gaudium et spes ? Mais ceci est une autre histoire. Ceux qui vont aller jusqu’à lire les actes du concile se comptent sans doute sur les doigts de quelques mains. La vérité est que Vatican II n’a été connu du grand public catholique que par la réforme liturgique.


Louis Renaudin – Justement, puisque parlez de la réforme liturgique qui a suivi le Concile, vous conviendriez tout de même que le concile de Vatican II a été un évènement marquant.

Christian Marquant – Tout à fait… surtout marquant il y a 60 ans. Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que le lancement du concile est dû au Pape Jean XXIII qui en fit l’annonce le 25 janvier 1959, c’est-à-dire il y a plus de 65 ans. A partir de là les bouillonnements furent nombreux dans l’Église – les évêques avaient été invités à exprimer leurs vœux - mais aussi dans les mouvements catholiques et les médias. Cela engendra de nombreux débats, et même de l’enthousiasme pour les hommes d’alors par rapport aux interrogations du moment.


Louis Renaudin – Mais ce concile serait un évènement daté ?

Christian Marquant – D’abord comme presque tous les synodes et autres conciles, il répondait à des questions de l’époque. C’est pourquoi beaucoup de vœux épiscopaux évoquaient la question du marxisme, très importante à un moment où le communisme triomphant occupait une moitié de l’Europe, mais aussi la question des laïcs en rapport avec l’importance naissante des mouvements d’Action catholique, et encore celle de l’unité des chrétiens dans le cadre d’une Église sûre d’elle-même, qui avait l’illusion qu’elle était encore conquérante prospère. Mais surtout, il se définissait comme voulant réponde aux attentes « des hommes de ce temps », en réalité aux attentes d’un certain nombre des théologiens et des évêques de l’époque. Par le fait, il se plaçait dans une époque déterminée et parlait pour elle. Pour aller dans ce sens il faudrait refaire un concile « pour notre temps » tous les vingt ans, au moment où le concile précédent s’avère démodé. Vous voyez donc un débat daté pour une situation à cent lieues des situations et préoccupations d’aujourd’hui.


Louis Renaudin – Peut-être est-ce pour cela que le concile s’est surtout voulu « pastoral » ?

Christian Marquant – Justement il s’est voulu « pastoral » et non dogmatique, parce qu’il ne voulait pas être vraiment traditionnel, de tous les temps. Au fond, je dirais qu’il a été une espèce de grande assemblée d’Action catholique pour traiter de questions pastorales en lien avec ce moment de l’Église.


Louis Renaudin – Mais avec néanmoins deux constitutions dogmatiques

Christian Marquant – Le concile Vatican I avait, lui, promulgué un vrai dogme, et le concile de Trente avait multiplié les interventions dogmatiques. Les déclarations dogmatiques de Vatican II sont – volontairement ? – plus difficiles à saisir et je ne pense pas qu’un pour cent des catholiques soient capable de les cerner. Même si je reconnais que c’est en soi très important de le faire.


Louis Renaudin – Vous pensez que les interrogations du peuple de Dieu d’il y a 60 ans ne seraient plus celles des catholiques d’aujourd’hui ?

Christian Marquant – Je pense que plus d’un demi-siècle plus tard les intérêts et les attentes des hommes d’aujourd’hui sont à des années lumière des préoccupations et des discours du milieu des années 60.


Louis Renaudin – Pourquoi cela ?

Christian Marquant – C’est très simple, les hommes d’aujourd’hui s’interrogent sur les réalités et les problèmes ecclésiaux d’aujourd’hui comme celle d’une quasi disparition de l’Église du quotidien du monde occidental, de la chute de la pratique, des baptêmes, des vocations, etc. La cause en est peut-être d’ailleurs dans Vatican II, qui a fait douter de l’intérêt de la mission de l’Église. Mais de fait, concrètement, des différents profonds qui se creusent entre les vieilles chrétientés moribondes et les jeunes Églises qui demain constitueront la majorité des fidèles. Il suffit de voir les réactions au dernier texte romain sur la bénédiction des unions homosexuelles, pour mesurer ce décalage, je dirais même le fossé qui sépare désormais les églises entre elles.


Louis Renaudin – Que pensez-vous qu’il faudrait entreprendre si l’on voulait s’intéresser à nouveau à Vatican II ?

Christian Marquant – Le minimum serait d’en faire un bilan sérieux, c’est à dire ne plus regarder ce moment comme un totem intouchable mais comme un épisode de l’histoire de l’Église qui doit être scruté et étudié afin de comprendre ce qui s’y est réellement déroulé, d’essayer de comprendre les décisions qui y ont été prises. Des décisions dont il convient de remarquer qu’elles ont entrainé la presque disparition du catholicisme de l’Europe Occidentale.


Louis Renaudin – Faire un bilan…

Christian Marquant – C’est bien le moins que devrait faire une institution en crise qui parait si attachée à cet épisode. A moins qu’elle soit si malade qu’elle ne soit même plus capable de l’envisager. De toute façon en tant qu’historien, je sais que ce bilan sera entrepris un jour mais je préférais qu’il soit fait par l’Église d’aujourd’hui que par des historiens du futur car dans le premier cas cela pourrait être utile au bien de l’Église d’aujourd’hui alors que dans le second cas ce ne serait que de l’érudition.


Louis Renaudin – Mais ne pensez-vous pas qu’il existe toujours, même en Occident, des fidèles catholiques ?

Christian Marquant – Bien sûr, même si la pratique religieuse est tombée en France d’une moyenne, de 25% de la population jusqu’en 1965, à la fin du Concile, à moins de 2 %, sans parler de la chute libre des baptêmes, il reste tout de même une Église vivante et pieuse surtout chez les petites gens peu concernés par les bavardages du moment, chez une jeunesse catholique d’une relative importance, notamment dans les paroisses urbaines, et plus encore dans le monde traditionnel.


Louis Renaudin – Mais alors…

Christian Marquant – Parce que la foi catholique n’a pas disparu et qu’il reste de nombreux fidèles mais pour la quasi-totalité de ceux-ci le concile Vatican II et les états d’âmes de l’Église contemporaine ne représentent absolument rien. Je ne dis pas que c’est bien, puisque je viens de vous dire qu’il faudrait en faire un bilan sérieux, je dis que c’est un fait. Il est dû aussi au fait plus que la partie du nouveau clergé qui veut se démarquer du monde traditionaliste se rend amnésique.


Louis Renaudin – Mais à qui s’attachent ceux qui restent catholiques ?

Christian Marquant – C’est très simple… à Jésus et aux Évangiles, aux Apôtres et aux Martyrs, aux grands saints comme Saint-François d’Assise, Saint-Vincent de Paul, Sainte Thérèse de Lisieux ou mère Teresa, tout en continuant à pratiquer leur foi et en poursuivant les dévotions de leurs aïeux : chapelet, agenouillement devant le Saint-Sacrement. D’ailleurs cette dévotion de l’adoration du Saint-Sacrement est un vrai « marqueur » d’une pratique qui avait pratiquement disparu et qui se développe considérablement depuis quelques années.


Louis Renaudin – Donc d’une foi détachée du temps présent ?

Christian Marquant – Je dirais une foi authentiquement catholique qui englobe la vie et les pratiques de la totalité de l’histoire du salut et qui remet les modes actuelles à leur vraie place, celle qui ne concerne que quelques décades du temps long des 20 siècles du Christianisme. Vous me direz que c’est une autre façon de critiquer Vatican II, de dire que c’est un phénomène de mode et de le mettre entre parenthèses.


Louis Renaudin – Donc vous n’êtes pas pessimiste ?

Christian Marquant – Jamais, car ce qui se déroule aujourd’hui est ce qui s’est passé tout au long de l’histoire où chaque génération novatrice, chaque mouvement qui voulait avoir raison contre tout ce qui se faisait avant, qui s’est cru celui qui avait « enfin compris » les choses, fut vu très vite ressenti comme dépassé, prétentieux et arrogant. En fait, dans l’Église, toutes les grandes réformes, la réforme tridentine, la réforme des ordres religieux, ont toujours été des retours à l’Évangile : le véritablement nouveau, l’éternellement nouveau, ce n’est pas l’invention du moment, qui suit les modes du temps, mais c’est le retour à la tradition des Apôtres. Et j’ajouterai comme un clin d’œil final la remarque que me fit il y a quelques jours un prêtre ami des nouveauté « De toutes le façons nous avons la même Foi car nous la fondons sur un même Credo »


Louis Renaudin – Alors pour vous « Vatican II ? Connais pas … » a un sens ?

Christian Marquant – Certainement ! La preuve : les jeunes qui, au grand dam de nos évêques, se tournent vers la messe traditionnelle, l’appellent « nouvelle messe ». Pour eux la « vieille messe », c’est celle de Vatican II ! C’est vrai au premier degré parce qu’ils ne connaissaient que la messe réformée et que la découverte de la beauté et de la puissance théologique et spirituelle de la liturgie traditionnelle est pour eux un émerveillement devant une « nouveauté » qui remplit leurs attentes profondes. Mais c’est aussi très vrai fondamentalement : la messe ancienne est en fait « nouvelle » parce qu’elle retrouve l’éternité de la Tradition. L’Église est une institution bimillénaire qui a les paroles de la vie éternelle. Les temps contemporains et ses modes changeantes n’en constituent qu’une courte période et le temps de Vatican II encore plus. Seule l’Église elle-même tranchera à son propos quand elle fera l’inévitable bilan. Mais pour aider à ce que cela arrive, il faut se décrocher de l’événement, dont je prétends qu’il est daté parce qu’il a voulu à toute force être nouveau, et ne plus faire cette fixette sur Vatican II. Messieurs les « novateurs », vous avez arrêté vos pendules il y a soixante ans ! Or, nous sommes déjà en plein XXIe siècle, que diable ! Fichez nous la paix avec votre Vatican II ! Nous voulons, pour notre part que l’Église se réforme pour de bon et qu’elle continuer à assumer sa mission. Ce n’est pas par un retour systématique à un passé démodé qu’elle y parviendra, mais en s’interrogeant sur ce qu’elle est aujourd’hui par rapport à ce qu’elle a toujours été, et en se demandant comment elle pourra accroitre sa mission et sa sainteté demain. Et c’est pourquoi je vous dis : « Vatican II ? connais pas… ».

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