Notre lettre 1008 publiée le 27 février 2024

LA ROME DU PAPE FRANCOIS
S'INQUIETE DES "ABUS"
DANS LES CELEBRATIONS CONCILIAIRES…



Il est un document récent du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, qui est passé pratiquement inaperçu : la Note Gestis verbisque sur la validité des sacrements du 2 février 2024, qui rappelle, ô combien justement, que si « l’Église est "ministre" des sacrements, elle n’en est pas la maîtresse. » Nous en avons parlé dans notre Lettre aux Veilleurs devant l’archevêché de Paris, mais nous voudrions revenir sur ces réflexions pour l’ensemble des lecteurs de la Lettre de Paix liturgique.


La nouvelle liturgie ouverte à toutes les interprétations personnelles

Dans sa Lettre pour accompagner Traditionis custodes, le pape François, ouvrait une fausse fenêtre pour la symétrie, dénonçant face à l’« abus » que constitue selon lui la célébration de la liturgie anté-conciliaire, les « abus » que sont les « mauvaises interprétations » de la nouvelle liturgie : « Je suis également attristé par les abus de part et d’autre dans la célébration de la liturgie. Comme Benoît XVI, je stigmatise moi aussi le fait que "dans de nombreux endroits on ne célèbre pas de façon fidèle aux prescriptions du nouveau Missel, mais qu’il soit même compris comme une autorisation ou même une obligation à la créativité, qui conduit souvent à des déformations à la limite de ce qui est supportable" [citation de Benoît XVI, Lettre aux évêques catholiques de rite romain, 7 juillet 2007]. »

En fait, la lutte contre les « abus liturgiques » est le pain quotidien de Rome depuis l’instauration de la liturgie de Paul VI, laquelle, avec ses innombrables variantes et choix possibles inscrits dans le texte même des nouveaux livres, ouvre la porte à toutes les innovations et interprétations personnelles. Ce n’est pas nous qui le disons, mais c’est le pape François lui-même dans la Lettre apostolique Desidero desidravi (n. 54) : « En visitant des communautés chrétiennes, j’ai remarqué que leur manière de vivre la célébration liturgique est conditionnée – pour le meilleur ou, malheureusement, pour le pire – par la façon dont leur pasteur préside l’assemblée. On pourrait dire qu’il existe différents "modèles" de présidence. Voici une liste possible d’approches qui, bien qu’opposées l’une à l’autre, caractérisent une manière de présider certainement inadéquate : une austérité rigide ou une créativité exaspérante, un mysticisme spiritualisant ou un fonctionnalisme pratique, une vivacité précipitée ou une lenteur exagérée, une insouciance négligée ou une minutie excessive, une amabilité surabondante ou une impassibilité sacerdotale. Malgré la grande variété de ces exemples, je pense que l’inadéquation de ces modèles de présidence a une racine commune : un personnalisme exacerbé du style de célébration qui exprime parfois une manie mal dissimulée d’être le centre de l’attention. Cela devient souvent plus évident lorsque nos célébrations sont transmises par voie hertzienne ou en ligne, ce qui n’est pas toujours opportun et nécessite une réflexion plus approfondie. Comprenez-moi bien : ce ne sont pas les comportements les plus répandus, mais il n’est pas rare que des assemblées souffrent d’être ainsi abusées. »

On ne saurait mieux dénoncer la source des dérives : à la différence du célébrant traditionnel, qui est l’exécutant fidèle d’un texte et d’une gestuelle rigoureusement fixés comme une lex, une loi de la prière, le célébrant nouveau est intrinsèquement un interprète, une sorte d’acteur d’un texte lâche.

Il importe d’ailleurs de remarquer que la déclaration Fiducia supplicans du Dicastère pour la Doctrine de la Foi introduit aussi une aberration liturgique. Elle dit qu’« il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales ». Une bénédiction reste un acte sacré accompli au nom de l’Église, c’est-à-dire un acte liturgique. Pour bénir des couples de divorcés ou des couples de même sexe, on donne donc purement et simplement aux prêtres le droit d’inventer leur propre liturgie, non fixée rituellement. Nombre d’entre eux, déjà, ne s’en privent pas, organisation des cérémonies à l’occasion du « remariage » de divorcés, d’une manière non fixée rituellement, bien entendu.

Et plus communément, de nombreux prêtres – ou non-prêtres comme par exemple tous les animateurs et les animatrices d’enterrements sans prêtre – inventent à loisir des cérémonies non fixée rituellement. En fait, ce sont les livres liturgiques eux-mêmes qui invitent à sortir du rite et ouvrent la porte à l’invention. Exemple entre mille autres : les formules d’accueil, lors d’une confirmation, sont selon l’inspiration : si l’évêque salue l’assemblée « il dira par exemple : Que Dieu notre Père… », ou autre chose ; si c’est l’animateur, « il dit par exemple… », ou autre chose.

En un mot, la liberté est devenue la règle, ce qi n’est rien d’autre que l’abolition de l’essence de l’agir rituel. On comprend que, sous Paul VI et sous Jean-Paul II, se soient succédées les instructions de la Congrégation pour le Culte divin pour défendre « la bonne application » de la liturgie nouvelle contre les innombrables « abus » : Inter Œcumenici du 26 septembre 1964, Tres abhinc annos du 4 mai 1967, Liturgicæ instaurationes du 5 septembre 1970, Liturgiam authenticam du 28 mars 2001 (qui traitait des traductions et corrigeait Varietates legitimæ du 25 janvier 1994, trop libérale), Redemptionis Sacramentum, enfin, du 25 mars 2004. Admonestations répétées et répétitives, faites en pure perte, et n’ayant jamais donné lieu à une quelconque sanction contre un prêtre ou un évêque.

Redemptionis Sacramentum, le 25 mars 2004, un an avant l’accès au pontificat de Joseph Ratzinger, était un sommet dans la déploration – parfaitement inutile – des « abus ». Ce texte étonnant est un véritable syllabus des dérives liturgiques prohibées, mais non assorti de sanctions. L’énumération des transgressions est instructive :

1. Les Prières eucharistiques inventée (n. 51) ;

2. Les Prières eucharistiques proclamées aussi par des non-prêtres (n. 52) ;

3. Des variations personnelles sont introduites dans les textes (n. 59) ;

4. Des laïcs assurent la prédication durant la messe (n. 66) ;

5. La messe est mêlée à un dîner ordinaire ou à un repas festif, sur une table de salle à manger (n. 77) ;

6. Des éléments empruntés à des rites d’autres religions sont introduits dans la liturgie (n. 79) ;

7. Des non-catholiques ou même des non-chrétiens reçoivent la communion (n. 84) ;

8. Les hosties sont transmises de main en main pour arriver au communiant, ou bien les époux, dans une messe de mariage, se donnent réciproquement la communion » (n. 94) ;

9. La messe est célébrée avec n’importe quel récipient d’usage quotidien (n. 117).

Énumération édifiante qui n’émanait pas de traditionalistes scrogneugneux mais de la Congrégation pour le Culte divin elle-même. L’instruction prévoyait même que des plaintes pouvaient être déposées auprès de l’évêque ou du Siège Apostolique, comme au beau temps de la Sapinière ! On imagine que les plaintes se sont entassées sur le bureau d’un employé de la Congrégation, puis à la fin dans ses poubelles...


« Abus » entraînant une possible invalidité

Mais ces « abus » – des laïcs qui disent la prière eucharistique ou qui prêchent, des bouddhistes qui communient, du vin qui est consacré dans des verres ordinaires… – étaient en quelque sorte classiques au pays de la liturgie nouvelle. En revanche, sous François, pour que Rome s’émeuve, il faut du bien plus gros. Elle s’est enfin aperçue que certains abus mettaient en cause la validité des sacrements. Ici encore, ce ne sont pas des traditionnels critiques qui le disent, mais c’est le cardinal Fernandez, Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, dans l’introduction de la Note Gestis verbisque : « Par exemple, au lieu d’utiliser la formule établie pour le baptême, des formules telles que celles-ci ont été utilisées : "Je baptise au nom du Créateur..." et "Au nom du papa et de la maman..., nous te baptisons" – A nome del papà e della mamma… noi ti battezziamo. » C’est au point, dit le cardinal horrifié, que des prêtres ayant su qu’ils avaient étaient baptisés avec des formules de ce genre, « ont douloureusement découvert l’invalidité de leur ordination et de leur sacrements célébrés jusqu’à ce moment-là. » Sans commentaire.

Quel degré doit atteindre le grand n’importe quoi pour qu’on puisse dire qu’on ne célèbre pas le sacrifice de la messe ? On pourrait énumérer les messes-au-cirque, célébrées sous un chapiteau à Noël, avec interventions de clowns, jongleurs, ou des messes-c’est-la-fête, spécialement pour des mariages (voyez par exemple celui-ci : Un Cure Jovial (youtube.com) ou des messes-buffets dans les maisons de retraite, ou encore les messes-concerts, comme celle célébrée par le très médiatique P. Rainer Maria Schiessler, curé de la paroisse Saint-Maximilien de Munich, le 1er janvier 2021 : Hl.Messe vom 01.01.2021 / 10.30 Uhr in St.Maximilian, München mit Manuel Kuthan's Glitzerbeisl - YouTube.

Le même curé, par ailleurs activiste pro LGBT, à l’occasion de la Narrhalla qu’on célèbre en janvier sur la Marienplatz, à Muniche, réinterprétation des mascarades médiévales des fêtes des Fous, ou fêtes des Innocents, a ainsi présidé une messe-carnaval, la veille de l’Épiphanie, le 5 janvier, dont on peut voir une photo, tirée du bulletin de l’archidiocèse et reproduite par de.news (Die Karnevalssaison des Novus Ordo ist eröffnet – Gloria.tv), avec autel et église décorées de motifs colorés, ballons.

En Italie, pour l’Épiphanie, c’est un évêque, Mgr Derio Olivero, à Pignerol, qui a présidé une « messe des peuples » en chasuble polychrome, un groupe de danseuses, vêtues de sortes de pyjamas, s’étant produit à cette occasion dans la cathédrale. L’évêque a d’ailleurs reconnu que certains fidèles avaient dû être scandalisés. « Nous sommes différents, a-t-il dit, dans notre façon de penser les rites et les eucharisties ». Le même évêque, décidément très inventif, toujours pour l’Épiphanie, avait présidé en 2020 une autre « messe-des-peuples », avec présence de protestants, orthodoxes et incroyants. Et il avait remplacé le Credo par une minute de silence, durant laquelle chacun était libre de dire à Dieu, ou à l’Être suprême, ou à personne, ce qu’il avait envie de croire.

Tout devient possible. En Zambie, Annibale Bugnini lui-même dit qu’on avait supprimé le mélange d’eau et de vin, sous prétexte qu’il n’avait pas de fondement biblique (La réforme de la liturgie, op.cit., p. 296). Proverbes 9, 5, dans la Vulgate, parle pourtant du « vin mêlé ».

Il y a plus problématique. La Note Gestis verbisque s’inquiète de la possible invalidité de certains sacrements du fait de l’invention des acteurs. Mais les libertés prises avec la forme et la matière sacramentelles ont parfois été dûment autorisées. Ainsi, selon un article de La Croix du 9 août 1989 , « Célébrer en terre africaine », qui avait fait quelques bruits en son temps, une autorisation ad experimentum aurait été accordée pour une région du Zaïre d’utiliser du pain fait de farine de manioc et du vin de maïs pour l’Eucharistie.

Très troublante est la permission accordée par la lettre circulaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi du 19 juin 1995, adressée aux présidents des conférences épiscopales (Lettre sur l'usage du pain pauvre en gluten et du moût comme matière eucharistique (vatican.va)), reprise par une lettre du 24 juillet 2003 (Lettre à tous les Présidents des Conférences épiscopales sur l’usage du pain pauvre en gluten et du moût comme matière eucharistique (vatican.va)). La Congrégation se penchait sur le cas de prêtres ne pouvant plus absorber de pain (en raison d’une maladie du tube digestif), ou de vin (par exemple, ceux qui ont subi une cure de désintoxication). Dans ces cas, disait la Congrégation, on pourra préparer des hosties spéciales contenant moins de gluten, mais cependant en quantité suffisante pour qu’il y ait panification, ce qui ne pose pas de difficulté, et aussi, ce qui est infiniment plus problématique, on pourra utiliser du mustum, jus de raisin, à la place du vin. Il est exact que, compte tenu des difficultés extrêmes rencontrées à certaines époques et en quelques régions pour avoir du vin ou pour le conserver, le Saint-Office avait permis d’en obtenir en trempant des raisins secs dans de l’eau et en laissant se produire une fermentation. Mais aujourd’hui, le jus de raisin commercialisé a été pasteurisé pour éviter toute fermentation. C’est avec du pur jus de raisin que certains prêtres célèbrent aujourd’hui la messe.


Un rite nouveau intrinsèquement fragile

En dehors même des « abus » caractérisés, il faut bien reconnaître que la nouvelle liturgie, et spécialement la messe réformée, sont intrinsèquement fragiles, justement par le fait qu’elle suppose une part importante d’interprétation de la part des célébrants. L’abbé Hervé Mercury souligne ce point dans son ouvrage, La Liturgie sacrificielle Du rite rénové par Jean XXIII au Novus Ordo Missae de Paul VI avec un avant-propos du Cardinal Sarah, dont la parution, aux éditions du Cerf tarde depuis plusieurs années. Il y montre le déficit de signification sacrificielle, dans la nouvelle messe, que manifeste la présentation des dons, qui a remplacé l’offertoire sacrificiel traditionnel. D’où la nécessité de la « présence » très forte du célébrant, caractéristique de la messe actuelle : il faut que le célébrant, dans le rite nouveau, manifeste à lui-même et aux autres une plus expresse intention (au sens technique de volonté du ministre de faire, en accomplissement le rite, ce que fait et veut l’Église).

Autrement dit, pour que la célébration n’incline pas vers un simple mémorial, le célébrant du rite nouveau, en manifestant sa foi et sa piété, pallie en quelque sorte une insuffisance d’expression de l’offrande, dont le rite ancien dit au contraire très clairement qu’il la présente pour la rémission des « péchés, offenses et négligences sans nombre », ainsi que « pour tous les fidèles vivants et morts » (prière Suscipe sancte Pater). Mais le célébrant du rite nouveau peut faire l’inverse et l’interpréter dans le sens d’une simple action festive.

Alors que, dans la liturgie traditionnelle, les rituels très signifiants par eux-mêmes sont la sauvegarde des sacrements, la nouvelle liturgie, comme les textes de Vatican II, doit être interprétée, pour ne pas dire rectifiée, car elle souffre au moins d’incomplétude.

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