Notre lettre 833 publiée le 15 novembre 2021

LA MESSE DE PAUL VI " BIEN CELEBREE" ...
UN MYTHE !

Il y a quelques semaines un groupe de prêtres, religieux et laïcs, animés par notre ami Denis Crouan de l’association « Pro-Liturgia », a saisi l’occasion de la publication par François de son motu proprio Traditionis custodes pour lancer une supplique à nos pasteurs pour que soit « enfin » appliqué le nouvel Ordo selon ses règles liturgiques et que soient abandonnées toutes les initiatives qui selon eux le dénaturent et constitueraient l’un des motifs, pour les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle, de s’éloigner du Novus Ordo.

Cette chimère est aussi vieille que l’existence du Novus Ordo. Les quelques expériences pour « bien célébrer » la messe de Paul VI sont en réalité des tentatives pour masquer ses tares intrinsèques. Qui plus est, elles sont considérées par les autorités comme des célébrations « intégristes » et sont pour cela réprimées.

Nous avions ainsi évoqué, dans notre lettre 683 du 19 février 2019, le cas de l’abbé Jean-François Guérin, plus tard fondateur de la communauté Saint-Martin, qui ayant adopté par obéissance des 1969 le nouveau rite qu’il continuait à célébrer avec toute la pompe traditionnelle et l’orthodoxie qu’elle impliquait se vit fraichement admonester par Mgr François Marty cardinal archevêque de Paris qui ne l’entendait pas ainsi… C’est-à-dire que pour Mgr François Marty, déjà, la célébration du Nouvel Ordo ne devait pas être envisagée dans un esprit de tradition liturgique et théologique mais dans un esprit liturgique, spirituel et théologique tout à fait nouveau.

Nous pourrions aussi citer les efforts de cette haute figure sacerdotale du clergé de Paris qu’est l’abbé Gabriel Grimaud (« un abbé ultratraditionaliste », Médiapart, 19 février 2017), ancien aumônier de l’école de la Légion d’Honneur, qui dirige le Foyer Jean Bosco, 23 rue de Varize. Depuis son ordination, il y a quelques 50 ans, l’abbé Grimaud fait en sorte de célébrer dignement le Novus Ordo, de manière orientée, sans jamais concélébrer, avec beaucoup de latin. Il est, comme il se doit, persécuté comme un insupportable intégriste par l’archevêché de Paris.

Comme nous le disions, cet état d’esprit avait entrainé de nombreux fidèles, qui se regroupaient autour de tels prêtres, à faire finalement le choix de la fidélité à la liturgie traditionnelle, une liturgie que parfois ils ne connaissaient pas, mais une liturgie qui leur semblait davantage en conformité avec leur Foi, leurs traditions religieuses et celles de leurs aïeux. Sans vouloir offenser ces prêtres méritants (on pourrait évoquer aussi feu l’abbé Montarien, qui célébrait en latin à la paroisse polonaise de Paris) ; les fidèles ont préféré l’original traditionnel à la copie.

Il est un peu pathétique de constater que les amis de Denis Crouan et quelques autres ont gardé leurs illusions sur la réalité de la nature de la réforme liturgique issue du Concile Vatican II et de les voir, nouveaux Sisyphe ou plutôt nouveaux don Quijote, continuer à partir en croisade pour une cause perdue d’avance : ils veulent corriger les effets (les « abus » liturgiques), mais sans s’attaquer à la cause (une réforme qui a fait exploser le ritualisme).


Pour leur répondre et éclairer nos lecteurs nous reproduisons le texte clair et limpide

de Cyril Farret d’Astiès

qui répond aux fidèles « attachés au missel romain de St Paul VI » 


Monsieur l’abbé, mon Frère, chers amis,

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la Lettre que vous adressez aux évêques en tant que fidèles « attachés au Missel romain de Saint Paul VI afin que, partout, la liturgie soit célébrée avec dignité et fidélité aux textes promulgués après le Concile Vatican II ».

En préambule pardonnez-moi. Pardonnez-moi car je sais que je vais vous froisser et peut-être vous blesser. La liturgie est un sujet si central, si important, si constitutif de l’Église et de nos vies de baptisés qu’il ne peut pas en être autrement. Et il me semble précisément sain que nous n’y soyons pas insensibles car nulle part ailleurs que dans la liturgie nous n’approchons les réalités surnaturelles auxquelles nous croyons.

Mais la recherche de la vérité, l’espoir de sortir de la crise actuelle, l’amour de la liturgie elle-même me poussent à publier cette réponse trop brève, qui, je l’espère, se poursuivra ici et ailleurs avec vous et avec d’autres. C’était d’ailleurs mon intention en publiant un essai il y a un a sur la question. Mais qui aurait le courage d’organiser un débat posé et franc sur ce sujet essentiel ? Jean-Marie Guénois ? Martial Bild ? Aymeric Pourbaix ?

Ceci étant dit, et je vous demande une dernière fois de croire en ma fraternelle sincérité, je dois à présent apporter la contradiction et soulever les incohérences de votre lettre. Car il faut dire ce que l’on voit et, comme y exhortait Péguy, voir ce que l’on voit, ce qui est plus difficile.

Vous jugez que les créativités sont courantes dans les paroisses et qu’en tant que telles, elles posent problème.

Chers amis, la créativité est constitutive de la nouvelle liturgie, elle est partout encouragée et attendue dans un cadre qui ne permet assurément pas toutes les outrances mais qui autorise bien des fantaisies.

Dans une préface qu’il avait donnée (Cérémonial de la sainte messe à l’usage ordinaire des paroisses suivant le missel romain de 2002 et la pratique léguée du rit romain de Mutel et Freeman, je sais combien ce manuel vous tient à cœur) monseigneur Aillet évoquait au sujet des rubriques du nouveau missel un « flou descriptif » qui donne lieu à une sorte « d’obligation de créativité ». Cette description en dit long sur la difficulté profonde de comprendre ce qui est précisément attendu et demandé au célébrant comme aux fidèles. Dans la présentation générale du missel romain (PGMR de 2002 texte de la plus haute autorité qui fixe concrètement ce qui doit être fait pour la célébration de la messe) l’expression « si cela est opportun » est utilisée 29 fois, « peut » 113 fois, « à moins que » 10 fois, « cependant » 33 fois, « juge » 13 fois, « au lieu » 2 fois, « recommandé » 7 fois, « souhaitable » 4 fois, « habituellement » 13 fois, « adaptation » 22 fois… toutes ces expressions sont liées à des possibilités et des options offertes au libre choix et à l’inspiration.

Le n° 352 précise en outre que « L’efficacité pastorale de la célébration sera certaine­ment accrue si les textes des lectures, des prières et des chants correspondent bien, dans la mesure du possible, et à l’état de préparation spirituelle et à la mentalité des participants. C’est ce qu’on obtiendra au mieux si l’on profite des multiples possibili­tés de choix qui vont être énumérées ci-dessous. » et effectivement les possibilités décrites sont nombreuses (voir le n° 390)…

Vous écrivez que « l’efficacité de la liturgie dans la vie de l’Église tient, pour une large part, à la fidélité aux rites prescrits qui sont porteurs de la grâce liée au sacrement. »

Ce mot d’efficacité ne blesse-t-il pas vos oreilles ? Cette intrusion tayloriste et managériale dans le sanctuaire liturgique tout patiné de chrétienté et déjà tinté des couleurs du ciel ne vous semble-t-elle pas incongrue ? Je ne peux cependant que vous accorder que c’est effectivement pour une plus grande efficacité, en particulier pastorale (par exemple Sacrosanctum Concilium au n° 49, ou encore la PGMR au n° 352), que la réforme a été voulue, menée à bien et appliquée.

Au contraire, l’esprit liturgique tel qu’il a toujours été compris dans l’Église jusqu’au mitant du XXe siècle a toujours recherché la lenteur, l’inutilité, la prodigalité (fleurs, cierge, encens), l’irrationnel pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû.

Vous demandez à nos évêques de faire connaître et appliquer les normes établies par le Concile Vatican II et comprises dans le Missel romain.

Vaste chantier en vérité. Quelles normes ? Celles qui consistent à user ad libitum du cordon et de la dalmatique, de réciter tel ou tel credo, de choisir telle ou telle lecture et, plus problématique car nous abordons le cœur de la question de la réforme liturgique, la norme qui ne fait aucune différence entre le canon romain et les prières eucharistiques pour les enfants (PGMR n° 365) ?

Vous abordez ensuite quelques aspects pratiques et concrets dans votre demande aux évêques. Passons-les brièvement en revue :


Le silence sacré :

La nouvelle messe qui est fondée sur un très fort besoin communautaire fait une place extrêmement importante aux monitions, commentaires, mots d’accueil, avis… Les monitions proposées sont nombreuses et même difficiles à dénombrer avec certitude, les textes officiels invitent partout à la prise de parole : accueil de la communauté, avant la liturgie de la parole, avant et après la prière universelle, avant et après la communion… on peut également donner des indications sur les attitudes à observer. La fonction de « commentateur » est définie comme ministérielle dans la PGMR (n° 105).

Difficile de réinstaurer le silence et surtout l’esprit liturgique du silence décrit remarquablement par l’abbé de Tanoüarn dans ses méditations sur la messe au chapitre 26.


Le propre de la Messe :

Le propre de la messe et les beaux textes qu’il propose subissent l’écrasement provoqué par les choix laissés à l’appréciation du célébrant et de son conseil (voir PGMR n°55 pour l’introït et ses ersatz par exemple). Mêmes causes, mêmes effets. Je n’insiste pas.


L’orientation :

L’orientation n’est effectivement pas impossible dans la nouvelle messe (pour la chandeleur, les papes pratiquent cet usage à la Sixtine depuis quelques années), mais assurément la nouvelle messe n’a pas été pensée pour cet usage. Quelques exemples le prouvent amplement :

Toujours dans le but de favoriser la participation, la PGMR suggère à plusieurs reprises que les fidèles doivent voir ce que fait le prêtre à l’autel (n° 83) ; le n° 307 demande que le positionnement des chandeliers n’empêche pas de « bien voir ce qui se fait à l´autel ou ce que l’on y dépose. » Le n° 299 précise très clairement qu’il « convient, partout où c’est possible, que l’autel soit érigé à une distance du mur qui permette d´en faire aisément le tour et d´y célébrer face au peuple […]. » Le n° 303 demande que « dans les églises déjà construites, lorsque la situation de l’ancien autel rend difficile la participation du peuple (…), on édifiera un autre autel (…) et c’est seulement sur cet autel que s’accompliront les célébrations liturgiques. »

Et si la PGMR précise effectivement à plusieurs reprises (n° 154, 157, 158, 185) que le prêtre se « tourne » vers les fidèles, cette formulation en réalité, plus qu’un retournement à 180° me semble plus probablement (et compte tenu de ce que nous venons de rappeler) que le prêtre « tourne » son attention vers les fidèles, qu’il les regarde, s’adresse à eux, que son application passe de l’autel à la communauté.

Le missel de 1965 était déjà prévu pour une célébration face au peuple et en langue vulgaire (le pape lui-même avait montré l’exemple).

Enfin, rappelez-vous de la volée de bois vert qui s’abattit sur les frêles épaules du cher cardinal Sarah lorsqu’il tenta de redonner droit à l’orientation lors de la conférence internationale Sacra Liturgia qui se tenait en Angleterre en 2016.


Le latin :

Le latin (pas plus que l’orientation) n’est interdit mais là encore l’esprit et la lettre du nouveau missel sont tout autres. Que l’on me permette de citer longuement le pape Paul VI lui-même, législateur suprême qui ne peut être suspecté de ne pas comprendre l’esprit du missel qui porte son nom et qu’il promulgua. Ce discours a été prononcé le 26 novembre 1969 au sujet de l’adoption du nouveau rit qui intervenait quatre jours plus tard :

« Et c’est là, bien sûr, que l’on constatera la plus grande nouveauté : celle de la langue. Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. Pour quiconque connaît la beauté, la puissance du latin, son aptitude à exprimer les choses sacrées, ce sera certainement un grand sacrifice de le voir remplacé par la langue courante. Nous perdons la langue des siècles chrétiens, nous devenons comme des intrus et des profanes dans le domaine littéraire de l’expression sacrée. Nous perdrons ainsi en grande partie cette admirable et incomparable richesse artistique et spirituelle qu’est le chant grégorien. Nous avons, certes, raison d’en éprouver du regret et presque du désarroi. Par quoi remplacerons-nous cette langue angélique ? Il s’agit là d’un sacrifice très lourd. Et pourquoi ? Que peut-il y avoir de plus précieux que ces très hautes valeurs de notre Église ? La réponse semble banale et prosaïque, mais elle est bonne, parce qu’humaine et apostolique. La compréhension de la prière est plus précieuse que les vétustes vêtements de soie dont elle s’est royalement parée. Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui, qui veut qu’on lui parle clairement, d’une façon intelligible qu’il puisse traduire dans son langage profane. Si la noble langue latine nous coupait des enfants, des jeunes, du monde du travail et des affaires, s’il était un écran opaque au lieu d’être un cristal transparent, ferions-nous un bon calcul, nous autres pêcheurs d’âmes, en lui conservant l’exclusivité dans le langage de la prière et de la religion ? »


Le chant grégorien,

Dans toute la présentation générale du missel romain de 2002 il n’est évoqué qu’une fois, une seule fois, au n°41 (sur 399 !).


La polyphonie,

Elle est évoquée également au n°41 qui demande en outre que les musiques « s’accordent avec l’esprit de l’action liturgique et qu’ils (les autres genres de musique) favorisent la participation de tous les fidèles. » La PGMR délègue (n° 393) aux conférences des évêques « d’approuver des mélodies appropriées […]. Elles ont également à juger quelles formes musicales, quelles mélodies, quels instruments de musique peuvent être admis pour le Culte Divin, pour qu’ils puissent vraiment être appropriés ou adaptés à un usage sacré. »


L’orgue,

Idem pour l’orgue, il demeure mais à côté de tout ce que l’imagination et les cultures locales voudront bien utiliser au nom de la participation et de la pastorale.

Voici, trop brièvement, quelques remarques sur ces points. Évidemment, vous le dites très bien, toutes ces choses nous sont « légués comme un trésor d’une valeur inestimable qui élève puissamment nos âmes vers le Ciel ». Mais elles ne font plus partie constitutive de la liturgie réformée, elles sont des options, des possibilités qui d’ailleurs, pour certaines d’entre-elles, vont plutôt à l’encontre de l’édifice global, je pense en particulier au latin, à l’orientation et au grégorien. La nouvelle messe, contrairement à ce que vous espérez, ne juge plus ce trésor comme inestimable puisqu’elle met sur un pied d’égalité la pratique léguée et toutes les inventions du jour (quand elle ne les favorise pas).

Chers amis, je crois malheureusement qu’en cherchant dans le nouveau missel ce qui ne s’y trouve plus que par anecdote ou accident, vous courrez après quelque chimère ou licorne. Mais, ce qui est plus triste, vous vous privez inconsciemment de la grande malle aux trésors de la liturgie traditionnelle qui est à portée de votre main et qui comblerait votre âme car vous avez à l’évidence une grande piété liturgique.

Tout d’abord, et c’est évidemment le plus important, vous y retrouverez l’admirable Offertoire et le Canon romain, assurément vous y puiserez une dévotion renouvelée et approfondie à la sainte Eucharistie. Mais vous découvrirez également bien d’autres trésors : le sous-diaconat, les ordres mineurs et leurs fonctions liturgiques, un calendrier admirable, un pontifical magistral et fort de leçons incomparables d’ecclésiologie, une foule de petites rubriques très aimables…

« D’où nous viendra la renaissance, à nous qui avons souillé et vidé tout le globe terrestre ? Du passé seul si nous l’aimons. » Simone Weil, La pesanteur et la grâce.


Cyril Farret d’Astiès


REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE


- En fait il existe bien un Novus Ordo « rêvé » par les amis  de Pro-Liturgia et quelques autres et une liturgie nouvelle réelle qui lui est tout à fait étrangère et qui ne constitue pas une forme liturgique mais une multitude de possibilités liturgiques.

- De ce fait il n’est pas incohérent de penser qu’il n’existe pas de Novus Ordo « réel » mais autant de Novus Ordo que de prêtres qui le célèbrent ou de circonstances dans lesquelles il est célébré.

- Comment dans ce cas ce Novus Ordo peut-t-il être la seule expression de la Lex Credendi alors qu’il exprime lui-même lors des diverses occasions de sa célébration une multitude de « Lex credendi » ?

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